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vendredi 30 novembre 2012

Quand Bruxelles parlemente...


Au numéro 69 de la rue des Lombards, se trouve un bâtiment dont l’existence même surprendrait la plupart des Français. Dans un cadre feutré tout autant que moderne, siège ici, dans un hémicycle dominant la ville, le Parlement bruxellois. Non, pas le parlement fédéral : le parlement de la région de Bruxelles-capitale.

Fruit d’un difficile compromis entre Flamands et Wallons, chacun gratifiés de leur propre région lors de la réforme de l’Etat de 1980, Bruxelles fut la dernière région autonome à être créée, par une loi du 12 janvier 1989.

Il n’était pas question, pour les Flamands, que Bruxelles acquière le statut plein de région et renforce ainsi l’aile francophone du pays. Au projet de troisième région proposé par les francophones, eux ont toujours préféré l’approche communautaire, qui fait de la langue le critère de dévolution d’attributions par l’Etat fédéral.

Bruxelles serait donc à la fois région et communauté.

Elle est une région, mais pas trop. Ses pouvoirs sont plus limités que ceux des régions flamande et wallonne : elle n’a pas de pouvoir constitutif, et ses décrets en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire ont une valeur juridique inférieure à celle des autres décrets.

Mais elle est aussi plus qu’une région. Depuis 1995, lui ont été attribuées un grand nombre de compétences communautaires (culture, transport, aides sociales).

Et comme le veut tout compromis, cette nouvelle région se caractérise par la complexité de son fonctionnement, autant que par sa lourdeur… Accrochez-vous, car cela ne fait que commencer !

Au Parlement bruxellois, qui est le Parlement de la « région », siègent depuis 2001 pas moins de 89 députés (17 néerlandophones et 72 francophones). L’augmentation de la représentation néerlandophone ayant été compensée, dans le cadre de nouvelles négociations, par l’augmentation du nombre de députés francophones.

Evidemment, pour les questions communautaires, chacun retourne siéger chez soi : les élus flamands à la Commission Communautaire Flamande (VGC), les élus francophones dans une sorte de nouvelle instance parlementaire ; la Commission communautaire française (ou COCOF).

Et pour les questions communautaires bruxelloises intéressant les deux communautés, me direz-vous ? C’est très simple, voyons, le Parlement se réunit alors en Commission communautaire commune (COCOM).

Et n’oublions pas cette question cruciale: comment gouverner Bruxelles avec un tel attelage ?

La diversité des populations et des intérêts représentés a abouti à la constitution d’un gouvernement bruxellois composé de pas moins de six forces politiques. Et aucune symétrie entre partis flamands et francophones : si les socialistes francophones participent au gouvernement, ce n’est pas le cas de leurs homologues flamands, qui ont été remplacés par le parti libéral…seul parti à ne pas être associé au pouvoir côté francophone !

Une complexité qui n’a d’égal que l’enjeu que représente cette ville pour chacune des deux autres régions.

vendredi 23 novembre 2012

La guerre des chefs à l’UMP ne sera pas une histoire belge.


Quels sont les points communs entre le MR (le parti libéral francophone belge) et l’UMP ? A l’aune de l’actualité récente, la question mérite d’être à nouveau posée*.

Car le jour même où Le Figaro barrait sa Une d’un « guerre des clans à l’UMP », La Libre Belgique titrait ici : « MR : la guerre des clans n’aura pas lieu ». Et tandis que suspens et désespoir étaient à leur comble au sein du parti de droite français, les libéraux belges savouraient quant à eux l’apaisement d’un compromis en dentelles, dont seule la classe politique belge a le talent.

Comme en France, deux grandes tendances s’affrontent au sein du MR depuis des années (depuis que le père de l’actuel président du parti occupait ce poste, c’est dire !). D’un côté, les partisans toujours nombreux de Didier Reynders, le libéral ancien président du parti et actuel Ministre fédéral. De l’autre, les soutiens du dirigeant actuel du MR, Charles Michel, aux accents plus centristes. Notons quand même au passage, pour nous consoler, que l’accession de ce dernier à la présidence du parti en 2011, après une importante défaite électorale, eut également des airs de psychodrame.

Les instances du MR doivent être prochainement presque intégralement renouvelées, avec en toile de fond les bons scores aux dernières élections communales, qui ont relancé des ambitions personnelles à Bruxelles, et en ligne de mire les élections législatives et régionales de 2014. Le combat promettait d’être sanglant, d’autant plus qu’une nouvelle carotte de choix devait faire courir nos candidats : le poste de Ministre-président de la région de Bruxelles (chef du gouvernement bruxellois) annoncé vacant suite au départ probable de l’indéboulonnable Charles Picqué (PS)…

Ceux qui, comme moi, se réjouissaient à l’avance du spectacle en ont été pour leurs frais.

Sous réserve du vote des militants, quelques jours de négociations internes ont suffi à voir attribuer à Didier Reynders le MR de la région bruxelloise et la tête de liste aux élections législatives dans la capitale. Vincent De Wolf, protégé bruxellois de Charles Michel, se présentera quant à lui aux élections régionales, avec pour objectif le poste de Ministre-président bruxellois.

Et voilà ! Il faut dire que tant la quantité de scrutins que le nombre de postes à pourvoir favorisent l’accession à de tels compromis…

Mais c’est aussi là l’illustration de la grande force de la classe politique belge : de crise institutionnelle en négociations communautaires, de scrutin proportionnel en constitution de coalitions, de contrats de gouvernements en alliances électorales, elle s’est depuis toujours forgée dans l’art du compromis et de la négociation, qui font sa renommée jusque dans les plus grandes institutions internationales.

Les histoires belges ne sont donc pas, loin de là, toutes ridicules.

lundi 19 novembre 2012

Flandre à droite, Wallonie à gauche : Et Bruxelles ?


Flamands et francophones ne se contentent pas d’exister sur deux territoires politiques (partis, médias, syndicats) totalement distincts. Ils expriment aussi traditionnellement des opinions politiques sensiblement différentes, voire incompatibles.

Les élections communales l’ont encore largement démontré ; tandis que la Flandre proteste en votant à (l’extrême) droite, la Wallonie reste fidèle au Parti socialiste et connaît peu le vote protestataire.

Un peu comme si, chez nous, aux dernières élections, tous les sarkozystes s’étaient regroupés au Nord de Paris, tandis que les hollandistes occuperaient le Sud de la Seine…On imagine l’ambiance dans la capitale !

Cette différence de vues remonte en fait…à l’origine du pays, même si elle n’est réellement mesurable que depuis la scission de l’ensemble des forces politiques, à partir des années 1960.

A l’époque, s’opposait déjà une Flandre majoritairement rurale, catholique et conservatrice à une Wallonie plus industrialisée, et par là même plus susceptible de voir se développer la thématique de la lutte des classes.

La question communautaire n’a fait que renforcer cette ligne de partage. Ce sont les chrétiens-démocrates (CD&V) qui ont porté traditionnellement les revendications communautaires flamandes. En Wallonie, au contraire, c’est le Parti socialiste (PS) qui incarne le premier le mouvement régionaliste. Cet axe CD&V-PS a marqué les successives réformes de l’Etat de son empreinte et permis d’aboutir à de nombreux compromis. Pas sûr que la N-VA, désormais majoritaire au Nord, prenne le relais avec autant de bonne volonté.

Et pourtant, le phénomène N-VA n’a rien d’éphémère. La force de ce parti nationaliste est d’avoir su ancrer son discours dans les racines du peuple flamand.

La N-VA reprend en effet à son compte le mythe de l’homme rural, que la Flandre célébrait au milieu du XIXème siècle dans les arts picturaux et la littérature. La Flandre reste aujourd’hui marquée par cet imaginaire du « vrai Flamand », homme de la terre et moteur, par son travail et sa rigueur, de performance économique.

A l’image des Tea party américains, la N-VA oppose aux masses laborieuses flamandes les élites urbaines socialistes trop souvent corrompues. Voter pour les forces conservatrices devient alors un acte de résistance à l’oppression francophone. Les « assistés » sont également désignés comme les ennemis, avec ce raccourci souvent esquissé : Wallon = assisté.

Si le scénario d’une scission imposée par la Flandre reste peu crédible, la Flandre de droite et la Wallonie de gauche se préparent chacune de leur côté à l’éventuel démantèlement de l’Etat fédéral.

Les Wallons votent désormais PS, autant par atavisme qu’en réaction aux discours identitaires plus musclés du Nord du pays. Les francophones ont quitté la défensive pour à leur tour adopter un discours plus conquérant et revendicatif : l’on parle d’un « plan B » de séparation du pays, et l’on ne s’oppose plus à une décentralisation accrue, à condition qu’elle se fasse au bénéfice des Régions plus que des Communautés*.

De cet affrontement, Bruxelles est non seulement l’enjeu central. Elle est aussi un acteur à part entière, et se tient politiquement à part. Bruxelles est la seule terre francophone acquise aux libéraux du MR, et en périphérie, se maintient le FDF (Front démocrate francophone), tête de pont d’un communautarisme plus conquérant.

Comme quoi, entre le Nord et le Sud, la frontière politique n'est pas si étanche.

* La Belgique compte 3 régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles) et 3 communautés (francophone, néerlandophone et germanophone).

dimanche 11 novembre 2012

Bart De Wever en rade à Anvers



Au centre de la grand’place d’Anvers trône une statue qui célèbre la légende des origines de la ville. Le soldat romain Silvius Brabo y est représenté jetant la main du géant Antigone dans l’Escaut (hand werpen = jeter la main), vengeant ainsi tous ceux à qui son adversaire l’avait tranchée.

Il est probable que le leader nationaliste Bart De Wever se soit rêvé, après son triomphe électoral à Anvers le 18 octobre dernier, en nouvel Antigone. Le soir même, il exprimait d’ailleurs sa satisfaction de ne plus être « un colosse aux pieds d’argile », allusion à son nouvel et solide ancrage local.

L’ampleur de son succès ce soir là a fait de lui le seul leader politique susceptible de prendre la main dans les négociations pour la formation d’une coalition communale. Un privilège que se verraient bien lui reprendre certains partis défaits, qui s’imaginent volontiers dans le rôle du soldat-justicier, chassant des terres anversoises celui que la première ville de Flandre a pourtant porté aux nues.

C’est par référence au processus de formation du gouvernement fédéral que Bart De Wever s’est attribué le rôle de formateur : celui qui est chargé de mener les négociations.

Son expérience de formateur du gouvernement fédéral en 2010 inspirera-t-elle sa méthode de négociations au niveau communal ?

Acte 1 : Se faire écarter des négociations en refusant tout compromis avec les autres partis,
Acte 2 : Surjouer l’image du pauvre Calimero, victime des partis du système … « C’est vraiment trop injuste »,
Acte 3 : Engranger ainsi sans effort les votes des électeurs mécontents.

A Anvers, le premier acte de ce drame s’est joué cette semaine. En refusant catégoriquement que les écologistes de Groen montent dans sa coalition, Bart De Wever a braqué le principal parti avec lequel il peut conclure un accord : le SP.A (socialistes flamands).

Mais Calimero a-t-il vraiment intérêt à laisser lui échapper le poste de bourgmestre d’Anvers ? En restant à l’abri de l’exercice du pouvoir, il n’épargnerait pas son parti, la N-VA, qui participe déjà depuis 2009 à la coalition du gouvernement flamand.

Le risque serait en outre de lasser un électorat désormais impatient de voir la N-VA au pouvoir, alors que la crise économique pointe et tandis que la crise institutionnelle n’est jamais bien loin.

Il semble donc que cette fois-ci, Bart De Wever pourra difficilement laisser la main à ses partenaires.

mercredi 7 novembre 2012

Un pays sans Roi ?




Serait-ce le fait du Roi Albert II, monté sur le trône de son frère en 1993 dans la méfiance générale ? De sa pieuse épouse Paola ? De son fils aîné Philippe, écarté du trône en 1993 pour incapacité présumée ? Ou de son incontrôlable cadet Laurent, privé l’an dernier de 21 juillet pour n’avoir pas obéi à son père ?

C’est un fait ; en Belgique, on ne touche pas (encore) à la famille royale !

L’opprobre suscité par un récent ouvrage dévoilant sa vie privée en est l’illustration. La publication en 2011 par deux journalistes d’un ouvrage levant le voile sur le secret du colloque singulier, cet entretien en tête à tête avec le Roi, avait été suivie d’une polémique identique*.

Cet élan national peine cependant à dissimuler que la ligne de clivage qui sépare francophones et Flamands n’épargne pas le sujet de la Monarchie

Les Flamands votent aujourd’hui massivement pour un parti républicain (la N-VA), dont le président s’était (on s’en souvient encore !) présenté sans cravate devant le Roi. Pour les Flamands, la Monarchie, trop francophone, coûte en outre très cher. Les Wallons s’affirment, eux, plus attachés à leur Roi, tout en étant de plus en plus nombreux à soutenir une réforme qui officialiserait son rôle purement protocolaire. Pour les francophones, la Monarchie reste malgré tout un possible rempart contre une séparation qui serait imposée par le Nord.

Mais si la Monarchie se trouve au cœur du clivage national, un simple regard en arrière suffit à se convaincre que le fossé entre les deux communautés n’est pas si difficile à franchir.

En 1950, alors que le Roi Léopold III avait pour le moins manqué d’exemplarité, notamment en convolant pendant la période de l’occupation, eut lieu l’épisode de la « Question royale ». On interrogea les Belges sur le possible retour du monarque aux affaires. Cette date marqua la première division visible entre francophones et Flamands. Mais c’était à l’époque la Flandre catholique et rurale qui, à 72 %, souhaitait le retour du monarque, tandis que Wallons et Bruxellois votaient majoritairement contre… C’était il y a seulement 60 ans !

Sur des charbons ardents, le Roi des Belges doit donc toujours concilier ces deux ambitions paradoxales : apparaître le plus absent possible de la scène politique du pays, tout en s’affirmant par sa présence comme garant de son unité…Comme l’a souligné le livre « Un Roi sans pays », le monarque a ainsi pu jouer en arrière plan un rôle fondamental dans la gestion et l’issue de la crise politique de 2010-2011.

Lorsqu’il prit la parole le 21 juillet 2011, ce fut pour appeler les responsables politiques à plus de responsabilité et ses concitoyens à plus d’unité. Ce discours fut particulièrement bien accueilli.

Au point qu’aujourd’hui, c’est la succession d’Albert II que les Belges redoutent…Comme ils redoutaient il y a vingt ans celle de son frère Baudouin !

*Martin Buxant-Steven Samyn, Belgique, un roi sans pays, Ed. Plon, Paris, 2011