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jeudi 16 mai 2013

Guerre linguistique : quand l’UE s’en mêle.


Bruxelles se vante souvent de ne pas connaître le phénomène des « banlieues » que rencontrent la plupart des grandes villes françaises. Ici, au contraire, les environs de la capitale sont majoritairement peuplés de revenus élevés, venus chercher au vert le calme et l’harmonie qui ne règnent pas toujours au sein de la capitale européenne.

C’est officiellement contre cette tendance à la « gentrification » de certaines communes, notamment en périphérie de la capitale, que voulait lutter le gouvernement flamand, en adoptant le 27 mars 2009 le décret « wonen in eigen streek » (habiter dans sa propre région).

Selon ce texte, les biens immobiliers de 69 communes flamandes particulièrement recherchées ne peuvent être transférés qu’à des personnes qui, selon l’avis d’une commission d’évaluation provinciale, disposent d’un «lien suffisant» avec lesdites communes.

Un objectif louable selon l’élu flamand de la périphérie Eric Van Rompuy (chrétien démocrate flamand), qui aurait presque réussi à nous faire verser quelques larmes sur le sort des ces « pauvres » flamands de la périphérie, chassés de leur commune de cœur par des hordes de bruxellois fortunés.

Le décret ne ferait donc que poursuivre un objectif d’intérêt général, qui justifierait quelques petites entorses au droit européen, fut-ce au détriment de libertés fondamentales, telles la liberté de circulation ou d’installation.

Selon le décret, les « liens suffisants » avec une commune flamande sont démontrés lorsque le candidat acquéreur remplit l’une au moins des conditions suivantes:

- avoir (été) domicilié dans la commune ou dans une commune avoisinante pendant au moins six ans de manière ininterrompue,
- exercer une activité professionnelle au moins à mi-temps dans la commune,
- avoir construit avec la commune un lien en raison d'une circonstance importante et de longue durée.

Plus de doute, on nous ressort la fameuse théorie du droit du sol, si chère aux Flamands qui souhaitent préserver la Flandre de la « tâche d’huile francophone », ces francophones qui s’installent en « territoire » flamand et y imposeraient l’usage de leur langue.

La Cour de Justice de l’Union européenne ne s’y est pas laissée prendre, qui a clairement censuré cette démarche.
Ce 8 mai 2013, statuant sur une question préjudicielle que lui avait adressée la Cour constitutionnelle belge, elle a affirmé sans ambiguïté que le droit européen s’opposait à une telle réglementation.
De quoi encore un peu plus ternir l’image de la Flandre sur la scène internationale.
Car bien que le gouvernement régional a plaidé le caractère purement interne de ces mesures, l’importance se ses prérogatives et les conséquences du décret sur les populations non belges donnaient nécessairement à la question une dimension européenne.

La Cour ne se laisse pas prendre au piège du caractère soi disant "social" du décret, en relevant que « d’autres mesures moins restrictives que celles édictées par le décret flamand seraient de nature à répondre à l’objectif poursuivi par le décret ».

En clair, le décret de 2009 ne protège pas les populations les moins fortunées, mais bien seulement celles qui ont des racines flamandes suffisamment anciennes.

La CJUE relève en outre la disproportion entre l’objectif affiché de réduction des inégalités et l’entrave imposée à la liberté de circulation, tant aux citoyens belges qu’aux ressortissants de l’Union éventuellement concernés.
Enfin, le dernier critère imposé est apparu trop flou à la Cour, qui pointe du doigt le possible « comportement discrétionnaire » des autorités.

C’est évidemment côté francophone que cet arrêt a été le plus commenté.

Le gouvernement flamand, par la voix de sa ministre du logement, Freya Van Den Bossche, s’est contenté de « prendre acte » de la décision, en considérant qu’elle ne remettait pas en cause l’objectif louable d’une meilleure mixité sociale dans ces communes. Le décret sera donc maintenu, mais son objectif social sera mieux affirmé.

Hypocrisie, quand tu nous tiens…